Rencontre avec Benoit Lemoine dans son atelier d’artiste
Benoit Lemoine est un bel homme, cheveux longs grisonnants, une silhouette fluide avec une allure qui semble toujours en mouvement. Son regard perçant comme un félin, vous entraine avec lui dans son monde artistique. Benoit Lemoine nous donne envie de vous raconter son parcours, qu’il nous parle d’un peu plus près, de son travail.
Pour accéder à son atelier, il faut d’abord franchir quelques étapes. Gravir des marches et découvrir un magnifique jardin en restanques, au cœur de Marseille. Ouvrir un retable qui révèle plusieurs tableaux pour découvrir un hommage à Théo Van Gogh. Ensuite le parcours continue, au détour d’un escalier en spirale… et à chaque détour, de nouvelles œuvres majestueuses nous attirent.
Comment Benoit Lemoine se passionne-t-il pour la peinture ?
L’artiste découvre la peinture à l’adolescence, lors d’une rencontre avec le peintre argentin Juan Carlos Aznar. Avec son ami Antoine, ils étaient comme des fous à découvrir, à dessiner, à aller voir les expos. Aussi visiter les ateliers, encore et encore.
Il étudie la scénographie aux Arts Déco de Paris, c’est ce qui a donné une dimension spatialisée, toujours théâtrale, à son travail pictural. Benoit Lemoine réalise une transcription scénographique d’ULYSSES de J Joyce, puis il part en coopération au Niger. Ce passage par l’Afrique de l’Ouest a transformé son regard et sa création. Sa peinture a pris une dimension nouvelle. Plus puissante, où l’utilisation de la lumière, des couleurs vives et du mouvement, est clairement assumée.
Qui est Benoit Lemoine, en savoir plus.
Benoit Lemoine est née à Tananarive d’une mère et d ‘un père militaires expatriés plus de 20 ans. il grandit avec une grande soeur et arrive en France en région parisienne à l ‘âge de 4 ans. Benoit Lemoine à deux enfants, le choix du roi une fille et un garçon. Aujourd’hui artiste peintre mais durant de nombreuses années il a été enseignant en art plastique dans de nombreuses académies. Benoit a aussi créé la cellule graphique du service des éditions de la bibliothèque nationale Richelieu à Paris proche du palais royal.
Il a très vite voulu dessiner, peindre. Ses sources d’inspiration sont la musique, la littérature, la poésie. Mais aussi de très grands peintres, tel que Domínikos Theotokópoulos dit Le Creco inspirateur de Pablo Picasso et Jackson Pollock. Une préférence affirmée pour Francis Bacon, un génie comme il en existe peu, qui lui a donné une furieuse envie de peindre. Et puis la littérature, bien sûr, ainsi que la poésie. Elle lui a été offerte comme un cadeau lorsque qu’il a découvert les paroles des chansons de Léo Ferré. Quant à la musique c’est une passion de toujours nous dit-il, de Bach, à Mory Kante, Salif Keita à Coltrane ou Miles Davis et Kate Bush.
Benoit Lemoine la vision de son travail
« Méfie-toi de la technique »
Plus tu maitrises correctement un grand nombre d’outils et de supports, plus tu es libre.
Il nous dira :
« Beaucoup se réfugient dans l’excès de technique, ou dans une esthétique figée, l’utilisation abusive d’outils numériques afin d’éviter l’aspect le plus délicat du travail qui est le choix et « la tambouille ». Il faut le niveau suffisant de maitrise qui permet de faire là, tout de suite, le geste exact ! Laisser la bonne, la juste trace qui s’impose intuitivement, au moyen du bon outil. L’absence de maîtrise permet l’accident. Mais l’accident n’a d’intérêt que s’il peut être perçu, assimilé, compris par celui qui l’a produit. On ne peut pas les générer en boucle…La technique c’est la boite à outils : « la technique on l’apprend pour l’oublier ». Mais il faut juste travailler beaucoup. Sauf si, bien entendu, on est un « génie » … Vous voyez ? »
Que veut dire l’artiste par-là ? Qu’est-ce que le choix pour Benoit Lemoine ?
« L’exercice de la liberté c’est le choix »
Je « suis libre » si (grâce à la maitrise technique, la curiosité, l’éveil) j’ai la possibilité et l’aptitude à choisir. Tout le reste est de la foutaise, de la poudre aux yeux, du discours, de l’idéologie. L’autonomie d’un individu c’est sa capacité à faire des choix en toute conscience. Et bien sûr !!! Ne pas être trop soumis au buzz, au désir de plaire, aux modes, s’oublier un peu…
Avez-vous déjà enseigné votre art ?
Oui, préciser a-t-il : ayant été remarqué sur un salon, on lui proposera de diriger une académie d’arts. Mais c’est plutôt le dessin, via le modèle vivant, qui est pour lui la base de tout le reste. L’exercice est délicat, subtil, mais c’est l’architecture, le squelette de tout le reste. Le modèle vivant, c’est comme les gammes pour un musicien. Quand Benoit Lemoine enseignait, il emmenait ses élèves visiter les ateliers de ses copains, afin de les faire entrer dans la cage au fauve, qu’ils se rendent compte par eux-mêmes.
Le cirque de la vie d’atelier : toute la logistique, la galère financière, les soucis communs, la réalité qui tente de vous stopper, … voire pire. Mais, parfois, une image parait qui efface le reste, et on recommence. Le vrai boulot d’un artiste c’est ça !!!! Tu passes plus de temps à travailler la matière mentale, à agiter puis faire le tri dans ton bocal perso qu’à gratter la surface ! Se mettre volontairement en situation de choix : de déséquilibre, de mise en abime des petites habitudes rassurantes pour soi-même et les autres… Pas peintre : funambule ! C’est un travail d’équilibriste entre ce qui est « pré-vu » et ce qui arrive. ce que tu arrives à percevoir de ton propre travail, accueillir les accidents, les exploiter et enrichir ainsi ta p’tite syntaxe graphique perso.
Gamin, il a travaillé dans un théâtre à l’italienne, où l’on faisait des toiles peintes des décors…au sol ! Il nous dira :
« On courait sur l’immense toile posée sur le plateau de scène avec des ballets brosse en guise de pinceaux !!! On remontait dans les ceintres, vue plongeante sur la scène, pour voir l’effet produit, se rendre compte. Multiplier ainsi expériences, lieux, techniques, publics, mais surtout travailler avec les artisans, les compagnons. Ça t’apprend des trucs tout ça, tu réfléchis ton boulot autrement après…tu découvres l’humilité. »
Benoit Lemoine ses expositions les plus marquantes
Sa première grande exposition se déroulait en face du centre Hospitalier Ste Anne, à Paris. L’artiste avait pu constater l’impact des images sur les gens, la manière dont chacun s’identifie, se projette, voire passe à l’acte… La peinture comme toutes les images, est un miroir, nous explique-t-il. Ensuite, ce qui l’a marqué c’est le grand périple autour de la Passion. Son exposition s’appelait « le silence bruyant de la Passion »
- le Couvent St-Jérôme à Toulouse
- la Chapelle de la Salpêtrière à Paris
- la Cathédrale de Meaux
- l’invraisemblable et fascinante Abbaye des Prémontrés
- et pour finir, l’église de la Madeleine, à Paris, en 2009
Cette exposition a été présentée dans de nombreux endroits, des lieux mythiques et chargés d’histoire :
En arrivant dans la région marseillaise, il a notamment exposé à la Tuilerie Bossy de Gardanne, un lieu de mémoire, un lieu chargé d’histoire de travail en ocre, toujours cette fascination pour l’artisanat, l’ouvrage, le geste, le métier.
Voici ce qu’écrivait Pierre Pontani, sur Benoit Lemoine :
« Benoît Lemoine exprime, à travers ses tableaux, une même quête, quasiment irréaliste en son interrogation sans fin de la peinture. Du chaos des années passées, de la violence gestuelle qui traversait ses toiles, on retrouve dans ses plus récents travaux l’urgence du trait, l’afflux de la couleur surgissant sur le blanc
– toujours plus présent – de la toile, affirmant les lignes, scandant les textes et la liberté des corps. Car voilà que les corps s’arrachent à la confusion, se libèrent des géométries qui l’enfermaient en une géographie carcérale, parabole tragique pour l’improbable voyeur qu’est, toujours, le spectateur. Cette peinture nous dit en effet que les corps n’en finissent pas de se dérober, de fuir, que le désir est indicible, comme le regard, que le peintre aux prises avec le sujet n’a d’autre solution que de dépasser. Elle nous rappelle que nous n’en finissons pas de nous cogner sur la surface des choses, sur l’apparence des formes et du verbe ».
Un peu de ses passions
L’artiste en a déjà dit beaucoup sur ses préférences . Il aime enormémant la musique, les poètes, mais aussi la mer, le cinéma. Il ’aurait peut-être pu faire des films; « L’image-mouvement » comme le disait Gilles Deleuze. Benoit est, par exemple, totalement fasciné par le film historique et dramatique soviétique « Andrei Roublev » d’Andrei Tarkovsky. Pour Benoit Lemoine c’est le sommet de l’art absolu.
Son livre de chevet
Son choix se porte sur plusieurs livres évidement.
De la poésie toujours et encore de la poésie. En partant de Arthur Rimbaud et sa saison en enfer, à Jean Genet avec sa citation célèbre « Assieds-toi à ta place, et l’on ne te fera pas lever ». En passant par Rainer Maria Rilke et sa vision célèbre sur la création artistique et poétique. Son avis sur la critique, sa profession de foi sur la solitude et sa théorie sur l’amour véritable. « N‘essaie pas de te plier aux modes ni à ce que l’on attend d’un auteur, ferme tes écoutilles et n’écoute que ce qui vient de toi ».
Un peu de la philosophie avec Friedrich Nietzche « L’état qui engendre la règle est différent de celui que la règle engendre », ou encore Clement Rosset « le reel et son double ».
L’artiste aime se détendre par le biais de quelques bons polars français comme Fred Vargas « pars vite et reviens tard ». Il aime aussi Franck Tilliez « un polar réussi, c’est celui qui crée un moment de peur-plaisir ».
Benoit Lemoine peut aussi lire des polars américains avec James Ellroy auteur spécialisé dans le roman noir et le roman policier historique. Il lui arrive de lire Michael Connelly avec son héros récurrent Harry Bosch.
Son artiste peintre favori
Benoit nous dira que le plus grand peintre, celui qui l’a poussé à peindre, c’est Francis Bacon , il fut sa première révélation . Ce peintre britannique réputé pour ses triptyques dont l’un est le plus cher au monde. Francis Bacon dont l’œuvre fut caractérisée longtemps par des représentations figuratives déformées et perturbantes. Ses œuvres montrant une prédilection pour les thèmes doloristes et morbides tels que la Crucifixion. Benoit Lemoine nous dira qu’il eut un véritable choc esthétique, et se demanda si après cela il était encore possible de peindre ?
Le pays où Benoit aime séjourner
L’artiste aime voyager dans tous les pays qui l ‘inspirent pour sa peinture ; de Venise à Florence tout en passant par Rome et son Colysée. De Séville à Madrid et Barcelone et sa Sagrada Familia. Mais Benoit Lemoine aime aussi l’Afrique de l’Ouest, le Niger où il a séjourné durant quelques années.
Il est également fasciné par le Japon, où il a exposé dans une célèbre galerie mais il n’a pas encore eut le plaisir de s’y rendre.
La musique qui l’émeut
Pour BENOIT la musique est son inspiration majeure, depuis toujours. C’est d’ailleurs de l’écoute de « La Passion selon Saint-Mathieu » de J.S. Bach, que Benoit Lemoine a eu le désir de créer cette magnifique série de la Passion. Aujourd’hui il écoute du jazz, de la musique africaine. Mais il se laisse surprendre et séduire par quelques découvertes du moment, comme Zaho de Sagazan, et sa « symphonie des éclairs » qui lui a valu sa victoire de la musique en 2023 pour la révélation musicale française. Il apprécie vivement la voix unique, la tension rythmique et l’écriture puissante de cette artiste.
La cuisine qu’ adore Benoit Lemoine
Notre artiste sait être autant gourmet que gourmand, mais il ne peut pas se limiter à avoir une préférence pour un plat en particulier. Il va autant apprécier les saveurs épicées et sucrées d’un tagine marocain, que les plats délicats et colorés, du chef japonais Hissa Takeuki. Pour tous ceux et celles qui ne connaissent pas ce grand chef sachez qu’il réalise des performances artistiques mêlant créations gastronomiques, projections vidéo et musique électronique.
Que fait Benoit Lemoine par les temps qui courrent
Installé sur Marseille depuis plus de 10 ans, son atelier au pied de Bompard quartier réputé de Marseille, ce qui lui permet une créativité en évolution permanente. Benoit sait encore se libérer de ses codes et de ses schémas anciens pour se tourner vers une forme artistique plus intense aux couleurs et formes plus vives , peut-être traversées par l’énergie et la vitalité lumineuse de la Cité phocéenne.
Mais son schéma créateur reste le même : » je commence par dessiner le corps, je n’en finis pas de le découvrir dans sa puissance, sa tension, sa vulnérabilité, et de voir ce qu’il raconte. Soumis à des forces inconscientes, les corps sont sublimés, leur histoire est inscrite dans leurs postures, leurs gestes, leur marque du temps, leurs reflets dans des miroirs toujours trompeurs. »
Et le mot de la fin de Benoit Lemoine
« Mon parcours artistique est une quête incessante de l’exploration des fragilités et des désirs humains. Chaque œuvre est une tentative pour capturer l’essence de l’instant, transcender les apparences pour révéler les profondeurs de l’âme. La peinture c‘est pour moi, le miroir qui reflète non seulement ce que nous voyons, mais aussi ce que nous ressentons et ce que nous sommes. Elle est un acte de rébellion, un appel à l’autonomie et à la conscience. L’art est un voyage sans fin, une danse entre la maîtrise technique et l’intuition, entre le contrôle et l’accident.
Il nous rappelle que nous sommes des êtres en perpétuelle évolution, toujours en quête de sens et de beauté. Que ce soit à travers la musique, la littérature, ou la peinture. L’art nous offre des moments de grâce, des instants où nous pouvons accéder à notre vérité et nous reconnecter à quelque chose de plus grand. Aujourd’hui, je continue à explorer ces thèmes. Chaque tableau est une plongée dans l’inconnu, une tentative de saisir l’insaisissable. Et pourtant, l’image reste la maîtresse absolue du monde et ce depuis que nous avons commencé à graver les cavernes. »
Cet artiste nous laisse perplexe par une créativité hors norme donc l’impression est grandiose lorsque l’on se penche sur ses toiles. Il s’y dégage autre chose du rare, de l ‘exceptionnel voire un léger supplément d ‘âme. On pourrait dire que Benoit Lemoine nous accroche intensément et nous fait penser à certains des plus grands Maîtres de la renaissance « Leonard de Vinci » et « Michelangelo ».
N’hésitez pas à vous rendre à l ‘exposition « Pantomimes » qui se déroulera du 27 novembre au 7 décembre 2024 à l’Espace Jouenne au 41 Rue Montgrand 13006 Marseille de 10H à 17H30 du lundi au vendredi.